CHAPITRE XXVI

Les coraux skippers ne s’amarraient pas à l’intérieur des transporteurs, mais aux projections en forme de branche qui en émergeaient, se souvint Kyp Durron. Il lança deux torpilles à protons sur la sphère perforée par les quadlasers du Faucon. La torpille creusa un trou de plus dans la bulle dégonflée, assez grand pour laisser passer un chasseur…

— Onze et Douze, prenez l’arrière-garde, ordonna Kyp sur la fréquence tactique. Les autres, suivez-moi. Nous entrons dans le vaisseau ennemi.

Kyp accéléra, sourd aux protestations stridentes de son astromech intrigué par les relevés qu’il recevait du vaisseau adverse. Les Yuuzhan Vong respirant de l’oxygène, leurs bâtiments fabriquaient une atmosphère. Kyp supposait que la pesanteur artificielle était fournie par les basals dovin chargés de la propulsion et de la protection. Quant à un endroit pour atterrir, n’importe quel bout de pont ferait l’affaire…

L’aile X modifiée de Ganner et sept autres chasseurs le suivirent à travers la brèche ouverte par les torpilles. En attendant que le Faucon et les deux chasseurs qui l’escortaient reviennent, les deux appareils postés dehors s’occuperaient de tout intrus prétendant voler au secours du vaisseau-grappe.

Quand Kyp entra dans la sphère, il s’aperçut que son atmosphère s’était dissipée dans le vide. Mais la pesanteur était proche des normes humaines. Il y avait assez de place pour que neuf chasseurs se posent sans encombre. Les canons du Faucon n’avaient rien arrangé, et la nature étrangère du vaisseau ne facilitait pas l’identification de ce qu’ils voyaient. La structure en forme de ruche, à l’arrière, était peut-être un neuromoteur. Il y avait sans doute autour quelques basals dovin à demi assommés.

— Respirateurs et blasters, ordonna Kyp quand le capot de son aile X s’ouvrit.

Il s’attendait à trouver des créatures monstrueuses identiques à celles qui avaient traversé le transpacier de son XJ, lors de sa première passe d’armes avec les Yuuzhan Vong, sur la Bordure Extérieure. Mais la soute était vide. Ganner avait eu la même idée. Sortant de son aile Y, il activa le communicateur de son masque respiratoire :

— Je suppose que les bestioles ont battu en retraite pour protéger le yammosk.

— Ça nous simplifiera la vie, dit Kyp.

Ils sortirent leurs sabres lasers et les activèrent. Le sifflement des vibrolames résonna dans la pièce vide. Les autres brandissaient une arme de poing ou un fusil blaster.

— Faites attention, dit Kyp. Les Yuuzhan Vong se servent parfois d’une gelée vivante pour immobiliser leurs adversaires.

Ils gagnèrent la cloison de la sphère adjacente. Comme celle du module dégonflé, la paroi avait une apparence organique. Ils cherchèrent en vain l’équivalent d’une écoutille.

— Il existe sûrement un moyen de passer d’une sphère à l’autre, dit Deak. Peut-être une séparation par champ hydrostatique…

— Ça fonctionne peut-être uniquement pour les Yuuzhan Vong, avança Ganner.

— Ce n’est pas le moment d’en débattre, dit Kyp. Nous ne sommes pas une équipe de reconnaissance scientifique.

Il enfonça son sabre laser dans la paroi, perçant un trou circulaire assez grand pour leur laisser le passage.

La soute suivante était identique à celle qu’ils venaient de quitter.

— Pas d’oxygène, annonça Ganner après un coup d’œil à son détecteur de poignet.

Ils avancèrent en file indienne dans un couloir qui aurait pu être le gosier d’une immense créature. Des colonies de micro-organismes fixés sur les parois émettaient une faible bioluminescence verte.

Ils atteignirent une autre cloison courbe, munie d’un portail à diaphragme qui les laissa entrer dans une antichambre scellée. En émergeant de l’autre côté, ils s’aperçurent qu’elle servait de sas étanche, car les détecteurs indiquèrent que la salle contenait de l’air respirable.

Elle abritait aussi une trentaine de guerriers yuuzhan vong, certains portant des armures chitineuses. Tous étaient armés de couteaux à double tranchant, de bâtons vivants qui servaient de fouet, de lance, d’épée ou de massue. Les deux groupes restèrent un instant face à face. Puis un guerrier hurla quelque chose dans sa langue natale.

La charge qui suivit prouva qu’il s’agissait d’un cri de guerre. Deak et les autres non-Jedi ouvrirent le feu. Une dizaine de guerriers sans armure tombèrent avant d’avoir couvert la moitié de la distance. Kyp et Ganner se joignirent à la mêlée, désarmant des adversaires par télékinésie, parant en même temps les coups de bâton et de couteau coufee. Un par un, les Yuuzhan Vong succombèrent.

Les deux Jedi travaillaient en tandem, dos à dos ou côte à côte, ne cédant pas un pouce de terrain. Leur succès assez aisé indiquait que ces guerriers n’étaient pas de la même trempe que ceux qu’ils avaient combattus à bord du Tafanda Boy, pendant la bataille d’Ithor. Malgré tout, certains non-Jedi ne s’en sortaient pas aussi bien. Deux des Douze de Kyp périrent, l’un décapité par un coufee, l’autre transpercé par un bâton.

Quand Kyp et Ganner eurent éclairci les rangs adverses, ils se séparèrent pour affronter les guerriers restants en combat singulier. Kyp combattit un ennemi plus grand d’une tête que lui et très habile au bâton. Grâce à la Force, Ganner projeta son adversaire sur un trio de Yuuzhan Vong qui attaquaient Deak. Deux perdirent l’équilibre, donnant le temps à Deak d’abattre le troisième d’un coup de fusil-blaster. Pour faire bonne mesure, il descendit aussi l’ennemi projeté par Ganner sur les trois autres.

Kyp enregistrait les événements sans les analyser. Campé sur ses jambes, pied droit en avant, il tenait son sabre laser à hauteur de la ceinture, parant les coups de bâton du Yuuzhan Vong à grands renforts de moulinets. Il ne bougea pas de sa position, provoquant la colère du guerrier ennemi, qui ordonna à son bâton de s’allonger et de frapper avec ses crocs. La transformation du bâton en serpent prit Kyp au dépourvu. Mais il fit pivoter le sabre laser autour du bâton, puis le releva brusquement, arrachant l’arme au guerrier et lui sectionnant la main.

Un sang noir jaillit du membre amputé. Le Yuuzhan Vong regarda Kyp, puis fonça sur lui tête la première pour le renverser.

Kyp fit un pas de côté. Quand le guerrier blessé passa près de lui, il lui enfonça la lame de son sabre laser dans l’aisselle, la seule partie vulnérable de son armure vivante, le tuant sur le coup.

Ganner et Deak étaient agenouillés près de leurs camarades morts.

Ils s’enfoncèrent dans les entrailles du vaisseau. La sphère suivante ne leur réserva aucune mauvaise surprise. Depuis leur entrée, Kyp s’étonnait d’un fait étrange : la Force était toujours là, mais… silencieuse. Si ses pouvoirs de Jedi n’en étaient pas affectés, il ne recevait rien à travers la Force. Soudain, il perçut quelque chose. Un instant plus tard, le groupe arriva devant une porte fermée semblable aux autres.

Kyp se tourna vers Ganner, qui lui fit signe qu’il éprouvait les mêmes sensations. Il passa la lame de son sabre laser à travers le portail. Le diaphragme s’ouvrit ; l’air entra en sifflant dans la soute. Des prisonniers de plusieurs espèces occupaient le sol crasseux, squelettiques, mais vivants… Stimulés par l’air frais, ils se réveillèrent peu à peu.

Kyp approcha d’un humain aux cheveux gris qui était probablement bien en chair au début de sa captivité. Près de lui gisaient trois Ryn, deux mâles et une femelle.

Les yeux larmoyants de l’homme s’ouvrirent avec peine. Il regarda Kyp, puis le sabre laser désactivé, dans sa main droite.

— Il est détenu sur le pont inférieur, dans le module suivant en direction de la poupe. Mais attention : ce n’est probablement plus le Wurth Skidder que vous connaissiez.

Parmi les réfugiés de Ruan qui s’étaient fait rouler par les truands, les plus versés en technique étaient parvenus à remettre en marche certains systèmes de l’installation orbitale. Ceux qui le désiraient avaient tout loisir d’observer en direct et en technicolor la chute de Fondor…

La majeure partie de la flotte yuuzhan vong était encore dispersée au-delà des lunes extérieures de Fondor, mais une dizaine de transporteurs et leurs vaisseaux d’escorte étaient présents. Les transporteurs avaient lancé leurs coraux skippers sur toutes les cibles possibles, détruisant les vaisseaux de la Nouvelle République en même temps que les barges de construction. Après avoir semé la panique dans la Première Flotte, ils se concentraient sur les chantiers navals, qu’ils arrosaient de projectiles enflammés.

Devant ce chaos, Melisma comprit que les Yuuzhan Vong n’épargneraient même pas un chantier désaffecté. A ce rythme, il restait au groupe de Ruan moins d’une heure à vivre. Les autres réfugiés avaient tiré la même conclusion. La plupart s’étaient résignés, pleurant en silence ou priant. D’autres hurlaient de peur et de colère, exigeant qu’on prévienne le commandement de Fondor de leur situation désespérée, ou que le groupe se rende aux Yuuzhan Vong. Plutôt la captivité que la mort !

Fidèles au fatalisme qui fondait leur philosophie, les Ryn chantaient. Les voir affronter la mort avec élégance et dignité avait montré l’exemple à certains réfugiés, qui s’étaient calmés.

Melisma se détourna de la verrière pour écouter le chant mélodieux et triste orchestré par R’vanna.

— Si nos compagnons se doutaient que nos fausses lettres de transit sont la cause de leur situation actuelle, nous serions déjà morts, Gaph.

Son oncle haussa les épaules.

— Avec ou sans notre aide, les pirates auraient trouvé un moyen. Ces gens les ont payés pour quitter Ruan !

— C’est ainsi que vous comptez nous absoudre de notre culpabilité ?

— Nous sommes coupables de nous être fourrés dans ce pétrin ! C’est le sort des Ryn : nul besoin que d’autres nous tourmentent. Nous nous débrouillons très bien tout seuls !

Melisma soupira.

— Personne n’a mérité de crever comme ça ! Mais nous ne sommes pas encore morts. Profitons du temps qu’il nous reste !

Melisma regarda par la baie vitrée.

— Je ne crois pas qu’il y ait encore de la musique en moi, mon oncle.

Gaph éclata de rire.

— Bien sûr que si ! On entend même de la musique dans un dernier soupir !

— D’accord. Vous d’abord !

Gaph se lissa la moustache, puis son pied droit battit le rythme. Il ouvrit la bouche…

Un Sullustéen posté à une console attira l’attention générale.

— Le Trevee revient !

Les chants et les pleurs cessèrent. Des grappes de gens se massèrent autour de la console et du hublot d’observation. Quelqu’un désigna un vaisseau qui se frayait un passage entre les missiles et les tirs de plasma.

— C’est le Trevee ! confirma le Sullustéen. Il se dirige vers nous !

Des exclamations fusèrent de toutes parts.

— Ils ont peut-être eu des remords.

— Ces types-là ? Impossible ! Ils cherchent plutôt une cachette.

— Quelqu’un a peut-être appris ce qu’ils nous ont fait…

— Je crois que c’est l’explication, dit Gaph, désignant le vaisseau sur l’écran. J’ignore à qui est le cargo YT-1300 qui accompagne le Trevee, mais je vous assure que ces deux chasseurs appartiennent à la Nouvelle République !

Les nouvelles apportées par le colonel de la Nouvelle République firent momentanément oublier à tout le monde qu’Anakin avait activé le champ d’interdiction et les pouvoirs destructeurs de Centerpoint.

Les Yuuzhan Vong avaient attaqué Fondor !

Les images en temps réel de la bataille diffusées sur l’HoloNet avaient déclenché la panique chez les Mrlssi, dont le système d’origine côtoyait Fondor, dans le secteur Tapani. Chez tous les autres, les retransmissions éveillèrent un mélange de soulagement et de désespoir : Centerpoint, fin prête, n’avait rien à faire.

Thrackan Sal-Solo n’était pas de cet avis.

— Nous avons les coordonnées spatio-temporelles de la flotte yuuzhan vong ! dit-il, se tournant vers Anakin.

Il tapa des commandes sur une console. Une carte stellaire apparut.

— Les vaisseaux de guerre sont massés entre la cinquième et la sixième lune de Fondor, en direction de la Bordure. Il nous suffit de les viser avec le rayon répulseur de Centerpoint.

— Nous n’avons pas l’autorité d’entreprendre une telle action, dit un technicien. Si nous ratons notre coup, nous toucherons peut-être Fondor ou sa lune principale. C’est un risque que nous ne pouvons pas courir.

— Nous devons essayer ! insista un Mrlssi. Fondor est perdue si nous n’agissons pas.

Le colonel se tourna vers Thrackan Sal-Solo.

— Je ne peux pas garantir que nous atteindrons la cible.

Tout le monde regarda Anakin.

Anakin dévisagea Jacen et Ebrihim.

Jacen voulut parler, mais les mots lui manquèrent. Il se souvint d’Anakin, quelques mois plus tôt, s’exerçant au sabre laser dans la soute du Faucon…

— C’est l’instrument de la loi, avait soutenu Anakin.

— La Force ne doit pas être consacrée à la guerre, mais à la recherche de la paix et de notre place dans la galaxie.

Jacen s’interposa entre Sal-Solo et la console d’Anakin.

— Nous ne devons pas être partie prenante dans ce conflit, dit-il.

Thrackan regarda Anakin par-dessus l’épaule de Jacen.

— La Première Flotte est presque détruite. Les vaisseaux de Bothawui n’arriveront pas à temps.

— Le secteur Tapani est notre région d’origine, dit un Mrlssi. Vous devez prendre le risque, en notre nom ! Comme c’est le devoir d’un Jedi.

— C’est notre seule chance de remporter la victoire, renchérit le colonel. (Il regarda la manette qu’Anakin avait fait surgir du néant.) Le système porte votre signature psychique, Anakin. Il ne répond qu’à vous.

— Anakin, non ! cria Jacen, les yeux écarquillés. Eloigne-toi de la console ! Tout de suite !